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Le trouble anormal de voisinage

I – Quelle est la définition des troubles de voisinage ?

 

À l’original, la notion de troubles de voisinage n’était pas définie dans le Code civil.

Cependant, la jurisprudence avait dégagé un principe général selon lequel « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ».

 

Les troubles de voisinage correspondent à des faits qui excèdent, par leur durée, leur répétition ou leur intensité, les inconvénients dit « normaux » et qui sont susceptibles de perturber la tranquillité du voisinage, dans un lieu public ou privé et ce, qu’un individu en soit lui-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’un tiers ou d’une chose dont il a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.

 

Depuis la Loi n°2024-346 du 15 avril 2024l’article 1253 du Code civil dispose :

 

 » Le propriétaire, le locataire, l’occupant sans titre, le bénéficiaire d’un titre ayant pour objet principal de l’autoriser à occuper ou à exploiter un fonds, le maître d’ouvrage ou celui qui en exerce les pouvoirs qui est à l’origine d’un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage est responsable de plein droit du dommage qui en résulte.

Sous réserve de l’article L. 311-1-1 du code rural et de la pêche maritime, cette responsabilité n’est pas engagée lorsque le trouble anormal provient d’activités, quelle qu’en soit la nature, existant antérieurement à l’acte transférant la propriété ou octroyant la jouissance du bien ou, à défaut d’acte, à la date d’entrée en possession du bien par la personne lésée. Ces activités doivent être conformes aux lois et aux règlements et s’être poursuivies dans les mêmes conditions ou dans des conditions nouvelles qui ne sont pas à l’origine d’une aggravation du trouble anormal. « 

 

 

II – Quelles sont les démarches à accomplir pour faire cesser les troubles anormaux du voisinage ?

 

Afin de faire cesser des troubles anormaux du voisinage, il incombe au voisin « victime » d’adresser une lettre recommandée avec AR au voisin fautif et, le cas échéant , en cas de poursuite des troubles, de mandater un huissier de justice afin de dresser un procès-verbal de constat (les nuisances olfactives, visuelles ou sonores seront mentionnées dans le PV).

 

Par la suite, il est indispensable d’accomplir des démarches aux fins de conciliation ou de médiation, avant d’engager des poursuites devant une juridiction.

 

À défaut, son action en justice sera déclarée irrecevable par le juridiction saisie.

 

C’est seulement en cas d’échec de cette tentative de règlement amiable que le voisin « victime »  pourra alors saisir une Juridiction civile ou pénale, afin de faire cesser le trouble  et, le cas échéant, d’obtenir des dommages-intérêts.

 

Attention ! L’action civile pour trouble anormal de voisinage doit être engagée dans un délai de prescription de 5 ans commençant à courir à compter de la date de la découverte du trouble ou à la date à laquelle le demandeur aurait dû constater l’existence de ce trouble et ce, dans la limite du délai butoir de 20 ans prévu à l’article 2232 du Code civil.

 

L’action pénale pour trouble anormal de voisinage est, quant à elle, soumise à un délai de prescription d’un an commençant à courir à compter du jour de la réalisation de la contravention.

 

III – Comment sont appréciés les troubles du voisinage en droit civil ?

 

A – Quelles sont les conditions des troubles de voisinage ?

 

Un trouble du voisinage est un trouble anormal (1), s’inscrivant dans un rapport de voisinage (2), et créant un préjudice (3), dès lors qu’il y a un lien de causalité entre le trouble et le préjudice (4).

 

1 – L’anormalité du trouble

 

Un trouble de voisinage ne sera constitué qu’à partir du moment où il est considéré comme « anormal ».

 

Un trouble est ainsi qualifié d’anormal lorsque son impact excède un certain seuil de tolérance pour toute personne « normale » (anciennement appelée « le bon père de famille » dans le Code civil).

 

Il est donc nécessaire que le dommage excède la mesure habituelle inhérente au voisinage (Cass., Civ. 3e, 24 octobre 1990, n° 88-19.383).

 

Il est de jurisprudence constante que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage ou encore excédant les inconvénients normaux du voisinage » (Cass., Civ. 3e, 27 juin 1973, n° 72-12.844).

 

Attention ! Il faut distinguer la notion de « trouble de voisinage » et la notion d’ « inconvénient ordinaire du voisinage ».

 

Le trouble de voisinage peut prendre la forme de nuisances :

– Visuelles : lumière d’une enseigne (Cass., Civ 3, 9 novembre 1976) ; privation de vue en raison d’une hauteur dommageable d’une construction (Cass., Civ 3, 27 juin 1973) ; privation de vue en raison de plantations (Cass., Civ 3, 18 janvier 2011) ; privation d’ensoleillement et bruit (Cass., Civ 3, 14 janvier 2004) ; gêne esthétique (Cass., Civ 2, 24 février 2005) ;

– Sonores : bruit d’aspirateur et de radio provenant d’un appartement (Cass., Civ 2, 3 janvier 1969, n° 67-13.391) ;

– Olfactives : émission de poussières et de fumées (Cass., Civ 2, 22 octobre 1964 – Cass., Civ 1, 1er mars 1977) ;

 

Par ailleurs, le trouble du voisinage doit présenter un caractère continu et permanent.

 

2 – Le rapport de voisinage

La notion de « voisinage » ne se limite pas aux seuls voisins directs vivant des immeubles contigus.

 

Au contraire, le voisinage s’entend d’une zone ou d’une aire de proximité dans laquelle vivent plusieurs personnes.

 

3 – Préjudice

 

Il incombe à la partie subissant le trouble d’apporter tous les éléments de preuve permettant de caractériser la réalité du préjudice subi par elle, en raison du trouble anormal de voisinage.

 

A ce titre, les préjudices retenus par la Jurisprudence relèvent essentiellement de l’ordre moral, économique, esthétique ou encore d’agrément.

 

4 – Lien de causalité

 

Pour obtenir réparation, la partie subissant le trouble doit apporter la preuve de l’existence d’un lien de causalité entre l’activité ou le fait imputable au voisin et le dommage anormal causé (Cass., Civ. 1ere, 1er mars 1977, n° 75-12.174).

 

B – Comment mettre en œuvre la responsabilité pour troubles de voisinage ?

 

1 – La saisine du Juge

 

Depuis la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice du XXIème siècle, il incombe à la partie subissant le trouble de tenter de parvenir à un règlement amiable du litige, devant être mené par un conciliateur de justice, avant de saisir le Juge civil.

 

A défaut, la saisine du Juge sera déclarée irrecevable.

 

2 – L’action en trouble de voisinage

 

L’action en trouble de voisinage s’articule sur les mécanismes d’une responsabilité civile objective, pouvant être engagée de plein droit.

 

La seule constatation d’un trouble anormal causé à un voisin suffit pour engager la responsabilité civile de celui ayant généré les nuisances.

 

Cette responsabilité repose sur la seule preuve du dommage anormal subi.

 

Dès lors, la responsabilité de l’auteur du dommage peut être engagée sans avoir à prouver une faute de sa part (Cass., Civ. 1re, 23 mars 1982 ; Cass., Civ. 3e, 30 juin 1998).

 

Par ailleurs, le fondement autonome de cette théorie de la responsabilité civile pour trouble de voisinage n’exclut pas la possibilité d’engager la responsabilité pour faute prouvée en application du droit commun de la responsabilité (article 1240 et suivants du Code civil).

 

En pratique : il appartiendra à la partie subissant le trouble d’apporter toutes les preuves du trouble et de son caractère anormal : attestations de témoin, constats d’huissier, procès-verbaux de police, photographies, enregistrements…

 

Exemples de décisions :

– Condamnation d’un propriétaire jugé responsable des troubles causés à un voisin, en raison des bruits émis par son locataire, liés à un défaut d’insonorisation de l’appartement (Cass., 18 mars 1981) ;

– Condamnation d’un propriétaire d’un atelier de peinture et de carrosserie à réaliser des travaux d’insonorisation, ainsi qu’à des dommages et intérêts (Cass., 16 octobre 1991).

– Condamnation des propriétaires d’un coq à déplacer l’animal dans un délai de 15 jours sous astreinte de 15 euros par jour de retard, ainsi qu’à payer au voisin plaignant la somme de 457 € à titre de dommages et intérêts (Cour d’Appel de Dijon, 2 avril 1987).

– Condamnation des locataires à remettre les lieux en leur état initial, ainsi qu’à des dommages et intérêts, après avoir changé la moquette d’origine au profit d’un parquet posé sur le sol (Cour d’Appel de Paris, 2 mai 1983).

– Condamnation de parents à verser 458 € de dommages et intérêts à leur voisin du dessous, dans la mesure où leur garçon de 11 ans apprenait à jouer du cornet à piston + obligation d’insonoriser l’appartement ou d’utiliser un garage comme salle de répétitions (Cour d’Appel de Lyon, 23 décembre 1980).

 

2 – Les causes d’exonération

 

a – Préoccupation

 

L’article L. 112-16 du Code de la construction et de l’habitation dispose que :

« Les dommages causés aux occupants d’un bâtiment par des nuisances dues à des activités agricoles, industrielles, artisanales, commerciales, touristiques, culturelles ou aéronautiques, n’entraînent pas droit à réparation lorsque le permis de construire afférent au bâtiment exposé à ces nuisances a été demandé ou l’acte authentique constatant l’aliénation ou la prise de bail établi postérieurement à l’existence des activités les occasionnant dès lors que ces activités s’exercent en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires en vigueur et qu’elles se sont poursuivies dans les mêmes conditions. »

 

En conséquence, l’antériorité de troubles, en présence d’activités agricoles industrielles, artisanales ou commerciales préexistantes, en conformité avec la législation, en l’absence de modification dans les conditions d’exploitation, permet d’exonérer l’auteur du dommage de toute responsabilité civile.

 

b – Faute de la victime

 

Il convient de préciser que la faute de la victime (demandeur à l’action) peut contribuer à diminuer son indemnisation et permettre à l’auteur du trouble de voir sa responsabilité partiellement ou totalement exonérée.

 

Par ailleurs, la victime d’un trouble prévisible commet une faute susceptible de la priver d’indemnisation ou de diminuer son indemnisation.

 

Enfin, la Jurisprudence admet, dans certaines circonstances, que la faute de la victime puisse justifier un partage de responsabilité civile avec l’auteur du trouble. (Cass., Civ. 3e, 20 mai 1998, n° 96-19.572)

 

C – Quelles sont les sanctions civiles des troubles de voisinage ?

 

Le Tribunal peut ordonner au défendeur (auteur du trouble) de cesser immédiatement le trouble de voisinage et d’indemniser la victime pour le préjudice qu’elle a subi.

 

Lorsque la cessation du trouble apparaît impossible, il est possible pour la victime de recevoir une indemnisation correspondant à la perte de valeur de leur propriété. (Cass., Civ. 2e, 12 novembre 1997, n° 96-10.603)

 

IV – Comment sont appréciés les troubles du voisinage en droit pénal ?

 

A – Quels sont les éléments matériels des troubles de voisinage ?

 

Pour qu’un trouble de voisinage soit constitué, il faut caractériser :

– des nuisances visuelles (esthétiques), olfactives (odeurs), sonores (bruits) ou de nature diverse (manque de lumière, etc).

– une atteinte anormale (répétitive, intensive ou durable) à la tranquillité du voisinage.

 

Au contraire, le trouble anormal de voisinage ne peut être une odeur / un bruit peu fréquent ou faible.

 

NB. Il importe peu que :

– Le trouble ait lieu dans un lieu public ou dans un lieu privé.

Toutefois, le lieu où la nuisance se produit est important afin de différencier entre les bruits considérés comme tolérables et ceux constituant un inconvénient anormal de voisinage.

– Le trouble peut provenir d’une personne, d’une chose ou encore d’un animal.

 

B – Quel est l’élément moral des troubles de voisinage ?

 

La théorie des troubles anormaux du voisinage institue une responsabilité sans faute, c’est-à-dire que l’auteur du trouble ne peut pas s’en exonérer en prouvant son absence d’intention de nuire.

 

C – Quelles sont les peines prévues pour les troubles du voisinage ?

 

Les peines prévues sont en fonction du trouble causé.

 

Il existe une liste non-exhaustive des sanctions prévues :

Les tapages injurieux ou nocturnes sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 3ème classe selon l’article R.623-2 du Code pénal.

 

Cet article R.623-2 du Code pénal dispose que :

« Les bruits ou tapages injurieux ou nocturnes troublant la tranquillité d’autrui sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 3e classe.

Les personnes coupables des contraventions prévues au présent article encourent également la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction.

Le fait de faciliter sciemment, par aide ou assistance, la préparation ou la consommation des contraventions prévues au présent article est puni des mêmes peines. »

 

les nuisances sonores sont punies de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la 3ème classe.

 

En effet, l’article R.1337-7 du Code de la santé publique dispose que :

« Est puni de la peine d’amende prévue pour les contraventions de la troisième classe le fait d’être à l’origine d’un bruit particulier, autre que ceux relevant de l’article R. 1337-6, de nature à porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme dans les conditions prévues à l’article R. 1336-5. »